Projet 44
Septembre 2K17, début du lycée pour moi, une nouvelle ère commence. Je découvre qu’avec la caméra de mon défunt père, je peux filmer autre chose que mes dalons qui skatent. J’avais pas mesuré l’impact de ce super outil en guise d’héritage. Grâce à un de mes meilleurs amis, Sacha Bazerque, et son père Fabrice (un surfeur avec un des meilleurs styles de La Réunion pour ma part,petit big up), j’arrive à filmer deux-trois sessions à Trois-Bassins et à Saint-Pierre. De fil en aiguille, je fais des petits montages sur iMovie, je filme à droite, à gauche. Sans vraiment trop de références (ça a pas changé), je me découvre un style assez brut et dynamique (ça a pas changé non plus). Pas de musiques très léchées et des plans au ralenti. J’ai compris très vite que filmer du surf, ça peut devenir très chiant et répétitif — chose que je pense encore aujourd’hui. Filmer dès le départ avec une approche dynamique pour ensuite, au montage, rendre le tout homogène et sans trop de temps morts.

Petit à petit, je prends goût à filmer mes dalons qui surfent. Et puis les dalons des dalons. Des Aigrettes à Saint-Leu, je développais sans le savoir des automatismes de prises de vue qui me serviront plus tard.
Sacha m’a fait découvrir Boe Bros. Là, c’était une claque. Une image identique, les mêmes angles, la même musique que j’écoutais. Sauf que la différence, c’était des bougs, ou des zouzes, qui cassaient. Longboard, shortboard, bodyboard, tout y passait. Des montages dynamiques avec des typos et des couleurs farfelues.
Je sais toujours pas comment j’ai fait la connexion avec le maestro de tout ce bordel organisé. Mais une chose est sûre : Lilian Chiapino est encore aujourd’hui l’artiste réunionnais qui m’inspire le plus. Photos, vidéos, créations diverses et variées… ça a toujours été quelqu’un de très productif et avec énormément d’idées, et surtout c’est quelqu’un de pragmatique.
Par contre, je me souviens très bien de ma première rencontre avec Kainoa. Une tête blonde platine, une 50 avec un top rose, un casque Fox rouge, et une façon de surfer assez originale. Tant dans les boards que dans le style, je trouvais ça très visuel à filmer. En sortant de l’eau à Trois-Bass, je l’entends avoir un échange avec Bébér, sur un ton assez frustré. Du style : “Putain dommage, Lilian est pas venu filmer, j’avais bien surfé, c’était bel franchement.” Content d’avoir été présent et d’avoir filmé ses vagues, je me manifeste. Un ajout en ami sur Facebook échangé plus tard, on garde contact. Là, la machine était lancée.
En long, en large, en travers, du lever au coucher du soleil, on était un bon duo. Il m’a emmené le filmer sur beaucoup, beaucoup, beaucoup de spots. Classiques ou plus secrets. Tic et Tac. Je filmais pas que du surf, je filmais nos moments de vie, peu importe le lieu ni l’heure. Je rencontrais ses dalons aussi : Bébér, Mao, Mitch, Bish… une bonne team, quoi.




On revient à Boe Bros. Ayant écumé les spots de septembre à décembre avec Kainoa qui m’a drivé partout, j’avais énormément d’images. Ça tombe bien parce que Lilian préparait un film, un film qui allait être projeté au Sauvage, devant pas mal de monde — tout Saint-Gilles en vrai. Ne sachant pas quoi faire de toutes les images que j’avais accumulées, je les ai données à Lilian. Ça faisait chaud au cœur de voir ses propres images diffusées, encastrées dans un projet… c’était bel. Voir son nom au générique aussi, vraiment bon souvenir. Y’avait vraiment beaucoup de gens, dans un super cadre, le rêve.

Le temps passe, le temps passe. Les années de lycée défilent, je grandis et je continue de filmer, tout le temps, dès que je peux. J’accumule les rushs et je sors des petits edits, sans prétention, pour faire rire mes dalons surtout. La terminale. Absent, distrait, mauvais élève, un très très gros problème avec l’autorité et l’injustice, ce n’était pas la joie. Mais rien à foutre au final. Je misais tout sur la fin de l’année et le coup de pied au cul légendaire que j’allais devoir me mettre pour avoir juste mon bac. Tout était prévu. J’allais pas en cours, préférant aller surfer en cachette en ayant préalablement bloqué le numéro de la vie scolaire dans les contacts téléphoniques de ma mère. Classique. Des profs plus ou moins horribles, dont monsieur Torres, un immense enculé catégorie poids lourd. À deux doigts de me battre avec lui et de brûler son loto, kbo de fond qu’il était. Sa mère l’a probablement chié. Je souhaite toujours une chiasse à vie à ce monsieur. Bref, fallait que je le place.


2020, ça rime avec bredin, mais aussi avec vaccin. Coïncidence ? On commence à entendre des bruits de couloir comme quoi on va arrêter l’école une semaine, deux semaines… un mois. Et puis là, le confinement. Une interdiction de se fréquenter pour des raisons sanitaires, les lieux publics fermés, les écoles fermées. Horrible et pas horrible.
Personnellement, c’était un des meilleurs épisodes de ma vie. Du surf, des soirées, pas d’école, quasi pas de devoirs, pas d’obligations et surtout : GTA San Andreas était disponible sur PS4. Comme CJ, mon vélo était mon réel meilleur ami. On devait faire une attestation de déplacement pour une activité physique — c’est lunaire quand j’y pense. Toujours en vélo, planche au bras, j’allais surfer, trouver mes dalons, des courses-poursuites en tout genre. D’ailleurs, je me souviens d’une fois où un immense hélico est venu au-dessus du peak à Saint-Leu. À l’eau avec pas mal de monde, c’était hors du temps comme moment. Les pales qui fouettent l’eau super fort, c’est ce qui m’a le plus marqué avec le bruit. Je filmais toujours à cette période, 2–3 à l’eau ou un peu plus si on avait de la chance. De très bonnes sessions à la Tortue et à l’Hermith, de beaux souvenirs. Des parkings isolés où il fallait marcher pour la mise à l’eau sans se faire attraper. Un sacré jeu du chat et de la souris.

Le lycée touchait à sa fin. Avec le contrôle continu, par miracle, j’obtiens le bac : 10,05. Pas mal. Il était temps pour moi de suivre le chemin classique du petit Réunionnais qui prend son envol pour les études en métropole. Mais avant de partir, fallait marquer le coup.
Quelques mois plus tôt, Bish me fait découvrir la “Drag Team”. Des bodyboardeurs australiens bien fardés qui faisaient n’importe quoi. Des façons de rider toujours plus originales les unes que les autres. Sam Benett, James Kate ou Dorf, des grands noms du bodyboard sont au rendez-vous. J’aimais beaucoup leurs montages surtout. Très bruts, très rythmés, avec beaucoup de cuts. Je tombe fan de la RIP I et de la RIP II. Des musiques old school et une ouverture d’esprit sans limite. Tout est permis. Sans trop de transitions ni de sens, et surtout très drôles, leurs films sont devenus pour moi des références très rapidement. Je retrouvais ça chez des gens que je filmais. Bish, Kainoa, Capo, c’était un jeu avant tout. Pas un moyen de montrer qui a la plus grosse. Dans leurs edits, énormément de moments de vie aussi. Très australiens évidemment, des références aux Bra Boys et aux vieux films de bodyboard comme les “Tension” ou les “No Friends”. Un condensé de conneries que j’ai remasterisé, mis à ma sauce. On n’est pas derniers pour faire de la merde, ça c’est sûr — surtout moi.

Le Projet 44, c’est la fin d’un chapitre. Celui de l’insouciance, des malices, du surf, des dalons… mais aussi le début de quelque chose.
J’ai filmé tout ça avec une caméra de 2011. C’est celle de mon père. Il est plus là, mais elle, elle tourne encore. Fidèle. Chaque plan que je fais avec, c’est un peu lui qui regarde. Ce film, c’est notre mémoire. Celle d’une époque suspendue, pendant le confinement à La Réunion. Vue à travers les yeux d’une bande de jeunes de 16 à 25 ans, de la côte ouest.
Pourquoi Projet 44 ? Bah franchement y’a plein d’indices, t’as qu’à roder.
La Team Drag, si vous passez par là, merci pour tout, changez rien, j’attends la RIP IV de pied ferme. Bisous
D’ailleurs RIP Roberto qui nous a quittés il y a maintenant 4 ans, le monsieur avec le tourne-disque sur le pont de Boukik, sacrée légende lui aussi.

Article : Yaya